« Vas voir ailleurs si j’y suis »
Lorsque j’étais petite, c’est-à-dire il n’y a pas très longtemps (puisque ça fait quelques décennies mois que j’entretiens ma gaminitude grâce à l’acide glycolique, même si je pense parfois qu’un bas-nylon enfilé sur ma tête aurait un effet tenseur plus certain que cette crème miracle achetée au prix du caviar), à une époque où je passais le plus clair de mon temps à m’interroger sur pourquoi j’avais autant d’épis sur la tête au lieu d’une chevelure d’enfant modèle, il arrivait que des adultes soucieux de paix, de quiétude et de silence, au lieu d’aller les trouver dans un monastère, une grotte ou un ashram, considéraient qu’il était plus simple pour eux et nettement moins contraignant de m’inviter à aller voir ailleurs s’ils y étaient.
Ce que je faisais assez docilement, surtout parce que, étant vexée, j’allais voir ailleurs pour vérifier qu’ils n’y étaient pas et pouvoir y bouder bien tranquille. Car, je me suis vite rendu compte de la supercherie: ils n’y étaient jamais. Cependant l’injonction « vas voir ailleurs » est finalement une belle invitation à la découverte et à l’indépendance, et je soupçonne même l’homo erectus d’avoir choisi la bipédie pour aller voir ailleurs qui y était (c’est une théorie scientifique que je peaufine depuis quelques minutes).

L’Homme est un grand chercheur d’horizons, arpenteur de continents, découvreur de contrées, parcoureur d’océans et migrant courageux.
Passé ce petit préambule, nous y voici: les Etats-Unis sont essentiellement peuplés de migrants venus par vagues, et en bateau; des culs-terreux, des va-nus-pieds, des affamés, des pouilleux, des dépouillés, des crève-la-faim, des déclassés, des persécutés, qui rêvaient d’avenir et d’avoir un destin; ces étrangers qui font l’identité américaine, auxquels un musée est consacré, et un hommage rendu, à Ellis Island.
Aux USA, les immigrés sont plus que des étrangers, ce sont des ancêtres, des racines, que l’on vient rechercher ou retrouver à Ellis Island.
Visiter Ellis Island
Pour visiter Ellis Island, c’est assez simple
Surtout si vous êtes un voyageur du XXI° siècle.
Vous grimpez dans un avion; en traversant la Business Class, vous espérez que ces enfoirés de privilégiés pleins aux as ces gens qui ont réussi dans la vie ne liront que l’indifférence que vous tentez d’afficher sur votre visage et non l’envie qui tout à coup vous dévore lorsque vous voyez que dans l’équivalent d’un de leur siège la compagnie aérienne fera voyager 3 pékins de classe économique; vous vous plaignez un peu parce que les sièges sont étroits, ou vos jambes trop longues (je rêve d’une circonstance telle, qui me donnera l’occasion de me plaindre d’avoir de trop longues jambes); vous exprimez votre dépit, lorsque l’hôtesse, au lieu de vous proposer comme toujours « chicken or pasta ? » vous annoncera qu’hélas il ne reste plus de gratin de coquillettes (on est d’accord, on ne prend pas l’avion pour manger une portion de pâtes, mais avoir le choix, entre chicken et pasta, c’est le seul luxe qu’on peut s’offrir en classe économique), vous trouvez les formalités de passage de frontière interminables et regrettez qu’il soit impossible de doubler discrètement tant les gens ici sont disciplinés et les files d’attente bien organisées.
Bref, en à peu près 10 h, vous foulez le sol américain et vous retrouvez dans un taxi conduit par un Pakistanais.
Vos vous rendez à Castle Clinton où on vous délivrera un ticket donnant accès au ferry qui vous conduit d’abord à Liberty Island, d’où vous prenez un ferry (le même si vous ne descendez pas) pour Ellis Island.



Si vous venez de Manhattan, le ferry passe d’abord par Liberty Island. Et vous aurez une pensée pour les migrants de la fin du XIX et du début du XX qui étaient accueillis par cette Lady Liberty. Je pense qu’on ne peut pas être accueilli avec plus d’élégance.
La visite de l’île et du piédestal qui renferme, outre un bon stock de marches, un musée consacré à la conception de la statue de la Liberté, peut se faire en une bonne heure, peut-être deux.




On continue la visite en prenant un nouveau ferry pour Ellis Island







Aller à Ellis Island, c’est un peu moins facile si…
vous êtes un paysan sicilien, irlandais ou polonais, au début du XX° siècle
Vous commencez par faire vos bagages. Contrairement à certains touristes pour qui 23 kg de bagages pour aller passer une semaine sous les tropiques constitue un dilemme vestimentaire assez cruel, vous arrivez à faire tenir tout ce que vous possédez dans un baluchon. ça tombe bien, puisque vous allez devoir porter ce que vous emmenez.
Vous commencez pas traverser l’Europe à pied, à cheval ou en train, pour aller vous entasser avec 3000 autres passagers sur l’entrepont d’un bateau pour une traversée d’une à deux semaines.
C’est l’odyssée du pauvre, racontée dans le film « Golden Door » à hauteur, modeste, d’hommes ballotés par les flots autant que par les misères ou les injustices de l’existence.
« Donnez-moi vos pauvres, vos exténués / Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres »
« Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tossed, to me,
I lift my lamp beside the golden door ! »
Cet extrait du poème d’Emma Lazarus vous accueille, vous les immigrés qui arrivez enfin dans le port de New York.
Vous êtes 12 millions à être passés par Ellis Island, entre 1892 et 1954. Vous êtes les ancêtres de presque qu’un Américain sur deux.
« Donnez-moi vos pauvres, vos exténués
Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres,
Le rebut de vos rivages surpeuplés,
Envoyez-moi ces déshérités rejetés par la tempête
De ma lumière, j’éclaire la porte d’or ! »
(traduction wikipedia)
En arrivant à Ellis Island, fatigués et éprouvés par le voyage, vous laissez vos bagages dans la « luggage room » et vous apprêtez à passer les contrôles physiques et et tests mentaux, vous qui parfois ne savez ni lire ni écrire, qui n’avez jamais quitté votre coin de campagne.
voici ce que ça donne quand on demande à un paysan illettré qui n’a jamais tenu un crayon de dessiner un diamant; un test parmi d’autres…

« Isle of hope, isle of tears »
Si vous avez un coeur sain, des poumons fréquentables, le moral, aucun passé criminel, pas de maladie rédhibitoire, vous avez votre ticket pour Manhattan où vous attendent peut-être des proches et de nouvelles aventures.
Sinon, vous êtes renvoyés chez vous (gratuitement)
Ellis Island est un musée qui donne un visage, une voix, une existence individuelle aux immigrés
Ellis Island est aujourd’hui un musée vous permet de comprendre, en le suivant, le parcours des immigrés à leur arrivée. Mais aussi un musée qui leur donne un visage, grâce à des portraits et photos d’archives, une voix par les témoignages enregistrés, une existence par l’exposition d’objets folkloriques, de culte ou du quotidien, ramenés de leurs pays d’origine. Ellis Island nous montre des individus, des personnes et non des ombres anonymes ni une masse menaçante. Et je ne conçois pas d’autre façon de voir autrui.
En bref: pour visiter Ellis Island
- 18 $ / 14 $ pour les seniors / 9 $ pour les enfants de 4 à 12 ans.
- tickets en vente à Castle Clinton ou sur internet.
- il vaut mieux arriver tôt pour éviter d’attendre une ou deux heures pour embarquer.
- Contrôles de sécurité, comme à l’aéroport.
pour les cinéphiles: Golden Door (2007), d’Emanuele Crialese ; avec Charlotte Gainsbourg.
pour les curieux: le site internet d’Ellis Island qui vous propose une visite virtuelle, des explications et des photos
visite guidée d’Ellis Island (cliquez)
Mon super bonus
le projet Unframed de JR (artist) qui rend hommage aux immigrés d’Ellis Island, dans une partie abandonnée de l’île.
la bande-annonce du projet, avec Robert de Niro
tickets en vente sur internet 43 $ ou 39 $ pour les seniors (comprend la visite de la Statue de la liberté, du musée de l’immigration et une visite guidée du sud d’Ellis Island )