Mon amie Isabelle est venue passer une semaine avec moi à Penmarch (prononcez « peinard ») dans un coin du Finistère, presqu’au bout de la Terre, là où, après la route, il ne reste que la mer.
C’est un très bon endroit pour qui a l’ambition de ne rien faire de ses journées; on peut s’y exercer à l’oisiveté du matin au soir et réviser les bases de la paresse du soir au matin.
Assez vite Isabelle a émis le souhait de faire un truc du genre « activité culturelle ou physique typique » qu’elle a appelée, pour ne pas m’effaroucher: « croisière à l’île de Sein », et tout de suite, on s’est dit qu’on s’en occuperait plus tard, ce qui est, en vacances, la meilleure façon ( ou du moins, la plus coooool) de bien s’occuper des choses à faire.
D’autant plus que le présent que nous déballions quotidiennement comme un cadeau était suffisamment agréable, plaisant et comblant pour que nous n’ayons pas à nous soucier de l’avenir et encore moins à le préparer.

C’est bien sûr deux jours avant son départ qu’on s’est présentées à l’office du tourisme pour savoir où et quand on pouvait embarquer. Il paraît que tous les touristes font comme nous et se précipitent sur les visites et les croisières au dernier moment, comme on fait le plein de souvenirs et de choses à raconter pour ne pas avoir de regrets, ou pour sentir un peu de nostalgie en septembre.
Sauf que les plus malins se présentent le matin pour réserver et avoir encore quelque chance de trouver de la place vers les Glénans, Molène ou l’île de Sein.
Et non à 15 h, comme nous.
Toutes les croisières étaient pleines. La preuve que notre entrainement au dilettantisme a miraculeusement fonctionné (nous qui vivons toute l’année avec les poches, les fonds de sacs et la tête pleins de listes de choses à faire, savamment ordonnées par ordre de priorité, allant du « déjà trop tard » à « ça devient vraiment urgent »)

Alors on a fait ce qu’on fait de mieux en situation de détresse: on a plaisanté avec la dame de l’office du tourisme, minaudé, insisté; on était sur le point d’avoir recours à l’arme fatale: la supplication tellement implorante qu’elle ressemble à une menace (très efficace) lorsqu’elle nous a proposé une croisière sur l’Odet: la fameuse croisière des châteaux et manoirs, de Bénodet à Quimper.
Franchement, on n’est pas snob, mais alors pas du tout; du coup, alors on a tout de suite accepté en pensant qu’il était grand temps qu’on le devienne.
A Bénodet
L’embarquement pour la croisière se fait, bien sûr sur le port: un quai, une église (Saint-Thomas, XIII° siècle), deux restaurants, un grand parking, toujours plein en été, mais gratuit, et les bureaux des navettes de l’Odet.


En remontant l’Odet
L’Odet prend sa source dans les montagnes noires de Bretagne, traverse Quimper et va se jeter dans la mer entre Bénodet et Sainte-Marine.
Emile Zola; ayant séjourné au château de Kerbirinic rencontra plus de frustration dans le coin en essayant de dialoguer avec l’autochtone que de personnages romanesques, et éprouva de la difficulté à entrer en communication avec le Bigouden, qui lui est apparu comme une sorte de gueux indécrottable ne parlant même pas français. Il a alors, de dépit, rangé (ou mangé ? qui sait ?) ses petits carnets destinés à tracer l’ébauche de son futur roman et s’est jeté dans le lyrisme de préférence à l’eau fraîche de l’Odet, en la déclarant « la plus belle rivière de France ».
Après quoi, il a entrepris d’écrire Germinal. On comprend à quel point sa rencontre ratée avec le Breton a pu le déprimer.


Je ne sais pas vous, mais moi, dès que je suis sur un bateau, surtout en Bretagne, je me prends pour une aventurière et m’imagine allant au devant de mille périls, m’apprêtant à affronter les embruns et la houle, des vents contraires et une météo contrariante; c’est pourquoi j’avais pris mes précaution: une boite entière de cocculine. Et pendant que je m’affairais à ranger tout ce qui pourrait passer par dessus bord au fond de mon sac, bien noué et bien coincé entre mes pieds, mon voisin de pont m’a rappelé qu’il s’agissait d’une croisière sur une rivière (« la plus belle de France ! », ai-je précisé ) et qu’il n’y avait aucun risque de vaque, à moins que quelqu’un à Quimper tirât la chasse d’eau acec un peu trop d’énergie. Oh mince ! voilà que mon destin dépendait du système d’évacuation des eaux usées de Quimper.


Un petit conseil, donné par une dame au guichet des Vedettes de l’Odet, et que j’ai fait mien, pour vous le donner à mon tour; si ça c’est pas une belle chaine de l’amitié et du partage, je ne m’y connais pas; s’il vous plait, ne brisez pas la chaine et donnez à votre tour ce conseil: installez-vous à gauche (ou bâbord, pour les puristes) du bateau; vous aurez les meilleures perspectives pour voir les principaux châteaux.


C’est décidé, la prochaine fois, je remonte l’Odet en Canoé. Il suffira que je me procure le calendrier des marées (deuxième conseil: pour remonter l’Odet jusqu’à ou vers Quimper, attendez que la marée soit montante) et le manuel des castors juniors. Et puis, dès que je verrai un ponton je m’arrêterai pour boire une bière.







Je n’ai pas pris en photo tous les manoirs, châteaux , demeures, longères qui peuplent les bois qui courent le long de l’Odet.
Sachez que vous pourriez, si vous faisiez cette croisière, voir aussi le ponton d’Eric Tabarly où est parfois amarré le Penduyck I. On ne peut pas voir sa maison (une longère dont il était tombée amoureux dans le Morbihan et qu’il a fait ramener en la démontant.
Point-explication pour les non-initiés: une longère n’est pas une femme aux longues jambes, et non, Eric Tabarly n’a pas démembré une femme aux longues jambes pour l’emmener au fond des bois dans le Finistère (vous avez trop lu Barbe Bleue, il me semble); une longère est un bâtiment (souvent une ferme) tout en longueur (de la même façon, et pour achever votre édification, une ferme au carré n’est pas une opération mathématique).
On peut aussi voir, plus ou moins, un manoir ayant appartenu à madame de Sévigné.
Et d’autres qui ont chacun une histoire à raconter et dont la guide (bilingue) se fait fort bien l’écho, avec gentillesse et enthousiasme.
En redescendant l’Odet

Et nous voilà de retour à Bénodet.

même si on se croirait à… ?

Si on veut se sentir proche du luxe et de la splendeur éclatante du Minaret, on peut manger dans le restaurant l’Alhambra, au pied du bâtiment. Gastronomie et service un peu guindé (par exemple, évitez de demander un pichet de rosé ; c’est un conseil que je tiens de ma propre expérience)

Et hop, la croisière se poursuit jusqu’à Loctudy (où ça ? ben.. là qu’tu dis)

juste en face de l’Ile Tudy (où ça ? ah non, ça ne marche pas)
puis retour vers Sainte-Marine et Bénodet.


Et on finit la journée sur la corniche, avec une bonne glace (on ne la voit pas sur la photo, elle est cachée sous la chantilly)
Et voilà comment Isabelle et moi, avons, l’air de rien, sans peine et sans douleur, ni sans aucun effort d’organisation, remonté l’Odet à mains nues !
En bref:
le budget pour la journée:
parking: gratuit
sandwich près de l’embarcadère, avec la petite bouteille d’eau: 5.80 euros
croisière commentée de 2 h 45: 28 euros
petit guide de la croisière: 5 euros
glace royale: 6.80 euros
tube de crème pour les coups de soleil: 5 euros.